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Accueil du site // // Sally Bonn // J365+11 - zones blanches

11 janvier 2012 - J376

 

« J’étais dans les zones blanches comme avant le surgissement d’un texte, dans un grand vide où rien ne se fixe, où les expressions les plus contradictoires passent et repassent sans interférence et, au lieu de chercher à m’en extraire, je me complaisais dans cette languide plénitude infra-langagière, retardant le maximum le moment où un concept, une intuition finirait par polariser la langue. »

Philippe Vasset, Un livre blanc


La nouvelle année est entamée. Année de soutenance. Le temps de l’écriture a pris fin, du moins pour le moment pendant lequel je laisse reposer ces 515 pages. Repos, attente, suspens. Avant de reprendre et de finaliser. Mais c’est un repos joyeux, qui ne me laisse pas en reste d’une multitude de tâches laissées, elles, en suspens. La vie reprend. J’ai fini sur les zones blanches, celles dont Philippe Vasset que je cite en exergue de ma conclusion dit qu’elles précèdent le surgissement d’un texte, celles qui permettent de délimiter cette zone intermédiaire et ambiguë entre le voir et le dire, entre le théorique et le pratique. Cet "espace blanc" qui désigne l’ensemble de ce travail, comme s’il était possible de se tenir quelque part juste sur cette bordure, "bordure de temps" avant que se constitue et se fige la langue en une forme définitive. Prendre garde aux discontinuités, les rendre constitutives de cette pensée en mouvement et en déplacement.

Si l’on veut maintenir ouvert le rapport du visible et du dicible, il faut définir un emplacement singulier, essayer de définir, comme le suggère Foucault dans l’introduction à L’archéologie du savoir, cet "espace blanc d’où je parle", qui prend forme dans un discours encore précaire et incertain. L’incertitude et la précarité du discours qui est celui que j’ai tenté de suivre et de tenir ici et dans mes pages, tient à l’objet ambigu de ma recherche et l’emplacement ou la situation théorique dans laquelle il oblige à se tenir, "dans un grand vide où rien ne se fixe". Ce vide, j’ai cherché à le remplir par l’étude simultanée des textes et des oeuvres des artistes, des textes puis des oeuvres, des textes en regard des oeuvres. Complexité de la position que les textes et les oeuvres en regard induisent, position précaire, déséquilibrée sans doute mais qui s’impose par la coexistence des uns et des autres dans la conception, l’élaboration, la production et le processus de création des oeuvres des artistes. Chercher à définir un emplacement singulier est, d’une certaine manière, une tentative de trouver une solution à l’inconfort d’une situation théorique, à son ambiguïté. Pourtant, il m’a semblé et il me semble aussi que cet inconfort et cette ambiguïté sont également nécessaires dans l’appréhension et la compréhension des oeuvres, de ces oeuvres. Il s’agit d’une ambiguïté au sens philosophique, celle que l’on trouve chez Merleau-Ponty, lorsqu’il pornonce sa leçon inaugurale au Collège de France, en examinant la fonction du philosophe : "Le philosophe se reconnaît à ce qu’il a inséparablement le goût de l’évidence et le sens de l’ambiguïté. Quand il se borne à subir l’ambiguïté, elle s’appelle équivoque. Chez les plus grands elle devient thème, elle contribue à fonder les certitudes au lieu de les menacer."