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Accueil du site // // Sally Bonn // J129 Buren à Metz

Il y a trois jours, exposition de Daniel Buren à Metz, Échos. Travaux in situ, exposition qui occupe la troisième galerie du Centre Pompidou-Metz. Deux installations, l’une fermée, l’autre ouverte. L’une forme un labyrinthe, constitué de formes géométriques enchâssées les unes dans les autres et chacune d’une couleur, couleurs qui se succèdent par ordre alphabétique (bleu, jaune, rose, rouge, vert). L’extérieur des formes géométriques autour desquelles on peut marcher est constitué d’une laque noire réfléchissante. Des ouvertures sont ménagées dans les formes (rappelant les Cabanes éclatées), sortes d’extensions de la forme elle-même autorisant la pénétration et signalées, sur leur tranche par "l’outil visuel". Une fois à l’intérieur, et comme le criait une petite fille courant de salle en salle, on s’y perd. L’autre salle est recouverte de miroir, toute entière renvoyant à la vue sur la cathédrale de Metz.

Le miroir et le labyrinthe désignent, dans la deuxième partie que j’entame actuellement, ce que je nomme les "formes de l’expérience". Dans un texte de Robert Morris intitulé "Aligned with Nazca", dans lequel, à la suite d’un voyage au Pérou pour voir, en fait, justement percevoir les géoglyphes dans le désert de Nazca, il confronte deux modes de vision et de perception de l’espace. Contre une vision attendue qui est celle de la photographie aérienne (celle orthonormée, cartésienne qui formalise la bi- et la tri-dimensionnalité), il propose un regard à même le sol, s’inscrivant dans l’horizon de ces lignes qu’il préfère suivre depuis le sol que voir depuis le ciel. Une manière de lecture (il voit ces lignes comme une forme d’écriture) avec le corps, avec les pieds. Justement, Morris parle du labyrinthe, cité comme exemple d’une forme qui induit nécessairement une vision déplacée, et mentalisée, puisqu’il ne peut être "vu", qu’en plan.

JLP me le disait en traversant le labyrinthe des salles de Buren, seul Icare peut voir le labyrinthe, parce qu’il vole.

Morris l’écrit : "Un labyrinthe n’est compréhensible que vu du haut, en plan ; quand il a été réduit à la planéité et que nous sommes extérieur au méandre spatial. Mais de telles réductions sont aussi étrangères à l’expérience spatiale que les photographies nous représentant le sont à notre propre expérience de soi." Morris compare en effet la forme du labyrinthe à la recherche de soi.

Dans la salle du "labyrinthe" de Buren, il est du coup assez troublant de voir cette image - en fait il s’agit d’un dispositif de télé surveillance qui permet de voir les spectateurs traverser les couleurs - en surplomb, qui se justifie, semble-t-il par la nécessité de faire voir les formes géométriques emboîtées et donne une vision globale du dispositif. Cela semble renvoyer à ces "indications à lire comme description d’un travail à voir" que Buren donnait dans les années soixante-dix et qui désignent à la fois où, et comment il faut voir.

Une manière de déplacer la vision, de faire ce "pas de côté" auquel convie aussi Pistoletto. 

Le passage dans l’autre salle de Buren est littéralement ouverture du regard vers l’extérieur, redoublé par l’effet de miroir.

Il me semble, à l’appui de ce que j’ai pu voir là, et c’est ce que je vais essayer de montrer maintenant, que l’écriture, à l’image des lignes de Nazca, donne ou ouvre sur l’espace, un espace à parcourir, à percevoir. Si ma première partie traitait essentiellement des textes, des rapports de l’art et du langage, ou avec le langage, il s’agit à présent de "passer" dans l’espace, du langage à l’espace.

L’époque actuelle, disait Foucault en 1967 dans sa conférence au Cercle d’études architecturales "Des espace autres", est plutôt l’époque de l’espace. Nous sommes, dit-il, à l’époque "du simultané, nous sommes à l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé (...) à une époque où l’espace se donne sous la forme de relations d’emplacements." Pour parler de ces espaces "autres", ces "hétérotopies", Foucault cite le miroir, comme une sorte d’expérience mixte, mitoyenne entre les utopies qui sont des emplacements sans lieu réel et ces hétérotopies qui sont des emplacements absolument autres.

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