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Les publications de Sally Bonn

  • Un démarrage. 21 avril 2011 / J111

    -creer le 21 avril 2011 - modifie le 4 mai 2011

    À présent, la résidence commence, alors même que le texte qui le constitue, qui va le constituer a été commencé le 1er janvier de cette année 2011. C’était d’ailleurs un enjeu de ce projet que de travailler dans un cadre temporel pré-défini, du début à la fin de l’année civile. Je me trouve maintenant au premier tiers, comme je me trouve au premier tiers du travail de rédaction entamé. C’est intéressant de commencer, maintenant, comme dit Deleuze, par le milieu. Les choses risquent d’être transformées par ce rapport au temps qui est bouleversé, qui ne tient plus compte d’une linéarité chronologique, puisque les articles vont se suivre dans un temps différé. Ce n’est pas plus mal, pour différentes raisons :

    - pour casser la dimension très protocolaire que j’avais donnée à ce projet.

    - pour prendre en considération un rapport au temps différent et différé, qui correspond d’une certaine manière à celui que je viens de découvrir dans les textes et l’oeuvre d’un artiste que j’ai ajouté à mon corpus.

    - pour assouplir l’astreinte, la contrainte et produire un mouvement, un "pas de côté" comme dit Michelangelo Pistoletto.

    Donc, cela commence aujourd’hui, ce qui a commencé en fait, il y a 111 jours. Une écriture. Une pratique de l’écriture, une pratique théorique.

  • J119

    -creer le 29 avril 2011 - modifie le 4 mai 2011

    Un peu perturbée par la mise en place qui oblige à des transports dans le cours des choses, dans l’évolution du travail. J’arrive à la fin d’un cycle, la fin de la première partie, la partie consacrée aux textes. Il me faut reprendre ici et présenter le contenu de ce travail, puisque son "explication" remonte à quelques mois.

    Aujourd’hui est donc le 119ème jour de rédaction d’un travail (de thèse de doctorat de philosophie) commencé il y a plusieurs années mais dont la rédaction effective a démarré le 1er janvier de cette année 2011 et doit se finir à la fin de cette année, en décembre. Toute autre activité a été suspendue pour finir ce travail, j’écris tous les jours. Le sujet de ma recherche porte sur les textes des artistes (des années soixante) et le rapport de ces textes auxs oeuvres. Plus précisément, ce qui m’intéresse est de comprendre la nécessité de ces textes dans le processus d’élaboration du travail artistique, quelle est leur "fonction" ; mais aussi, en partant de la notion de "dispositif" telle que l’a pensée Foucault, d’analyser la fonction opérative de ces textes, ils fonctionnent comme des dispositifs pour voir et faire voir, pour percevoir les oeuvres. Ces textes comme dispositifs renvoient par effet de miroir aux dispositifs que les artistes mettent en place plastiquement et spatialement dans leur travail artistique.La question du miroir est quant à elle déterminante pour certains des artistes sur lesquels je travaille.

    Le rapport à l’écriture est très répandu durant cette période de l’art des années soixante et une multitude de formes langagières se développent créant des zones de rencontre entre le visible et le lisible, entre le voir et le dire. Ce sont ces zones qui m’intéressent, non dans le mélange des textes et des images mais dans la rencontre entre deux formes irréductibles du langage de l’art : textes et oeuvres. C’est cette zone qui est appelée ESPACE BLANC, en référence à cette formule dont on trouve plusieurs occurrences dans les Dits et Écrits de Foucault et qui donne son nom au travail que j’effectue. Espace blanc qui vient désigner ce qui se tient entre le visible et le dicible. Je m’installe au coeur de cet espace blanc que je tente de parcourir à travers les oeuvres de Daniel Buren, Robert Morris et Michelangelo Pistoletto.

  • J124 Retour / ESPACE BLANC Chronique de thèse J1

    -creer le 4 mai 2011 - modifie le 4 mai 2011

    Il faut maintenant reprendre au début, faire retour sur ce qui a été écrit. En italique.

    J1

    01.01.2011

    Je n’aime pas particulièrement nommer ainsi ce qui s’apprête à devenir une forme d’accompagnement de mon travail de thèse que j’ai décidé de commencer aujourd’hui, c’est-à-dire le 1er janvier 2011 et qui doit s’achever en décembre de cette année. Ainsi, je compte suivre le processus d’élaboration de l’écriture de la thèse par une écriture en annexe dont je n’ai pas encore trouvé la définition ou la formulation. Il s’agit de suivre et d’accompagner l’écriture de la thèse par une écriture qui ne subisse pas les lois, règles et contraintes de l’écriture universitaire. Libéré des nécessités liées à ce type d’exercice, le jeu (il s’agit de cela aussi) est donc de comprendre par l’écriture ce qui s’élabore dans le travail de la recherche et de la théorisation. Au fond, il est bien question de cela dans le sujet de ce travail de thèse, justement, et il me semble aujourd’hui, en « commençant » que je ne fais que reproduire ou poursuivre ce que les artistes auxquels je m‘intéresse ont fait eux-mêmes dans le champ des arts plastiques. La question sera également de définir et circonscrire ce champ qui est le mien ou qui s’apprête à l’être, mais c’est bien au cours et dans le cours de ce travail que cela se fera. L’idée de processus est alors essentielle et elle se retrouve dans le travail et le questionnement des différents artistes des années 60 que je vais rencontrer dans ce travail. Le titre du recueil des écrits de Robert Morris est Continuous Project Altered Daily, il y a là quelque chose de cet ordre, un projet modifié quotidiennement qui suit les changements à l’œuvre dans le travail ; un projet continu qui est la vie même selon cette idée que les artistes Fischli & Weiss ont très justement mis en œuvre et en scène dans leur film Der Lauf der Dinge (Le cours des choses), cette œuvre en mouvement, cette structure en action dont les réactions en chaîne ne produisent rien que leur propre mouvement et enchaînement, une série d’agencements sans fin. C’est donc à la fois du point de vue d’une temporalité particulière, cette temporalité particulière autant à l’écriture en soi qu’à l’écriture d’une thèse qui par ce nom même devient une sorte de monstre envahissant et inquiétant que cette sorte de soupape que sera ce journal allègera, que du point de vue de l’élaboration théorique que j’entame ce double travail de l’écriture. Au-delà de la question de la temporalité à travers le déroulement et le processus, c’est aussi la dimension protocolaire de ce projet qui m’intéresse. Enfin, ce journal est aussi un moyen de récupérer ce « je » que le nous universel et universitaire impose, c’est un jeu que ce journal dont le « je » est aussi l’enjeu. Je me suis imposé de commencer la rédaction de la thèse le 1er janvier et de commencer la rédaction de ce « journal » auquel il faut que je trouve un nom, le même jour. C’est fait. Je commence aujourd’hui.

  • J124 Retour / J2

    -creer le 4 mai 2011 - modifie le 4 mai 2011

    02.01.2011

    Je relis ce que j’ai écrit hier dans ce « journal » destiné à une « résidence » - j’aime bien ces mots qui ont une histoire et qui sont fortement datés, pour un exercice un peu décalé de ce qu’ils désignent à l’origine – et il me semble que j’ai oublié une dimension importante du projet en en tentant une présentation et en même temps en jouant là-dessus, c’est la notion de secret, ou d’énigme, ce serait sans doute plus juste. Comme si au fond, ce qu’il va falloir suivre pour moi comme pour ceux qui me liront ( ?) est une recherche, bien sûr, celle universitaire, qui s’élabore dans le cours de l’écriture, ce qui m’intéresse justement, mais aussi une recherche du sens de ce travail lui-même, comme si l’écriture, la rédaction de la thèse me permettait de répondre à une question qui n’est pas encore formulée et que l’écriture aurait comme vocation de formuler et de développer. Le « journal » reprend du coup une de ces vocations, celle de l’enquête. Mais avant d’entamer l’enquête, il faut bien déterminer le sujet et ce que j’ai écrit hier et aujourd’hui qui est une forme d’introduction vise à déterminer le sujet. Je me retrouve alors devant la même difficulté que celle que j’éprouve lorsque l’on me demande quel est le sujet de ma thèse : impossible de n’en dire que deux mots, je manquerais une partie du sujet, mais en dire plus serait long et complexe. Alors, je déroule et tente de suivre une sorte d’enchaînement en espérant ou supposant que cela suive une certaine logique.

  • J124 Retour / J5

    -creer le 4 mai 2011 - modifie le 4 mai 2011

    05.01.11

    J+4, cela devrait me faire 5 pages selon le protocole établi – au moins une page par jour, c’était une des idées de départ, en pensant aux 20 lignes par jour d’Harry Mathews, lui-même suivant l’injonction de Stendhal : « Vingt lignes par jour, génie ou pas. » - je n’en suis qu’à 4. Et je commence à m’embourber dans un marais de mots, de phrases, de textes, mais sans déplaisir, j’aperçois l’océan devant moi (je reprends à dessein les métaphores marines employées par Robert Morris, l’un des principaux artistes de mon corpus, dans un texte important intitulé « Des éclaboussures à marée basse »), je rentre doucement, et je sais que je vais y passer du temps, sans doute pas loin de m’y noyer aussi parfois. Cette thèse est comme une traversée à la nage, je ne vois pas encore l’autre rive, je descends dans l’eau, elle est froide (le temps aussi en ce moment) mais encore relativement claire.

    Je lisais hier soir pour la première fois Roger Laporte – je ne sais plus exactement où ni dans quelle circonstance cet écrivain est apparu, mais il me semble qu’il avait quelque chose à voir avec certains artistes français des années 60-70, je ne sais plus, mais je l’ai trouvé chez ma libraire et l’ai pris, cette Lettre à personne, sans doute parce que le texte de la quatrième de couverture, signé Philippe Lacoue-Labarthe, commençait par ces mots : « Roger Laporte a cessé d’écrire. » au moment où j’entame ce travail d’écriture. Je suis dans l’introduction en train d’essayer de démêler les fils de cette notion d’écriture, de texte, d’écrit, de discours dans le cadre de ces textes d’artistes qui constituent mon corpus. Et hier soir, en lisant Laporte, je tombe sur ces mots : « Banalement, comme tout journal intime, celui-ci se propose de clarifier une situation non seulement douloureuse, mais plus trouble, en tout cas plus complexe que je ne le croyais de prime abord ; bref, je voudrais savoir ce qu’il en est, voir la vérité en face si c’est possible (et en tirer les conséquences pratiques). Est-ce que de ces pages j’attends plus qu’un éclaircissement, est-ce qu’écrire ces pages permettra plus que de tromper provisoirement ma faim ? » (je m’autorise avec un certain plaisir de ne pas donner les références d’un texte cité !) Voir la vérité en face. Est-ce cela le travail que j’entame ? Quelle vérité ? Cette notion d’éclaircissement me semble juste et renvoie à tout le corpus philosophique des Lumières, cet « Eclaircissement par des exemples » dans la Critique de la faculté de juger de Kant. Je ne sais pas si c’est l’écriture de la thèse qui va éclaircir son propre sujet, ou si c’est l’écriture du journal de thèse qui va éclaircir le sujet de la thèse.

  • J124 Retour / J9 - J10 - J12

    -creer le 4 mai 2011 - modifie le 4 mai 2011

    09.01.2011

    J+8 et j’ai 9 pages. C’est un décompte du temps pour l’instant, et un programme, un système, une grille. C’est aussi un processus de travail. Tout cela ressemble plus ou moins à ce que les artistes des années soixante ont eux-mêmes cherché et interrogé, une manière de sortir de l’illusoire inspiration de l’artiste. L’écriture se mêle à la recherche, la recherche à l’écriture, et ici, le surplus peut trouver sa place. Je constate également qu’une sorte de travail de déconnexion avec l’entour est en train de se produire doucement, moins d’intérêt à faire autre chose, mais aussi comme s’il y avait une sorte de danger extérieur qui nécessite la résidence ; si je sors, immédiatement je veux revenir, dans ce confort du travail dans lequel je me suis installée. Il y a bien un fantasme dans cette parenthèse, qui s’ouvre, cette par-en-thèse ! Fantasme de l’immersion totale. C’est comme une expérience que je m’autorise et c’est une chance en somme, que de pouvoir le faire ainsi.

     

    10.01.2011

    Dans l’article de Barthes intitulé « Texte (Théorie du) » dans l’Encyclopedia Universalis, ceci, noté aujourd’hui : 

    « Le texte est un fragment de langage placé lui-même dans une perspective de langages. Communiquer quelque savoir ou quelque réflexion théorique sur le texte suppose donc qu’on rejoigne soi-même d’une façon ou d’une autre la pratique textuelle. »

     

    12.01.2011

    Aujourd’hui, jour blanc : pas de visibilité. L’introduction est écrite dans ses grandes lignes, les éléments à ajouter le seront plus tard quand les parties seront bien entamées. Je ne sais plus par où commencer, partie I ou partie II, par les textes ou par les œuvres ? Tout se confond. Quasiment rien écrit.

  • J124 Retour / J24 - J27 - J31

    -creer le 4 mai 2011 - modifie le 4 mai 2011

    24.01.2011

    Triste temps. Je me perds, passant d’un sous-chapitre à un autre d’une question d’ordre historique à une question purement théorique. Je navigue à vue et ne vois pas grand’chose. Je sors les livres de ma bibliothèque à mesure qu’ils semblent s’imposer et ils constituent autour de moi une sorte de tour qui augmente en hauteur et me laisse de moins en moins de place libre sur le bureau. Je tentai de me souvenir de la raison pour laquelle je tenais tant à finir ce travail – au-delà de la simple nécessité de finir ce que j’ai commencé – et je me suis souvenu qu’il s’agissait à l’origine d’une sorte d’exercice imposé, de méthodologie imposée aussi, afin de ne pas laisser mon écriture s’imprégner de cette manie de l’analogie qui me fait passer d’une chose à une autre, d’une forme, d’une formule ou d’une idée à une autre, et de pouvoir creuser en profondeur un champ spécifique. La manie me reprend un peu ces derniers jours, mais au moins suis-je dans une partie et j’ai tout de même écrit, même si je change de cap encore trop souvent. Cap au pire dit Beckett. Non ?!

     

    27.01.2011

    « Une composition pleine de trous », je me souviens de cette phrase dite par Raoul Coutard à propos de la Ronde de nuit de Rembrandt qu’il décrit dans l’ouverture de Passion de Godard. C’est bien une composition pleine de trous que ce grand chantier commencé il y a 27 jours. J’ai la configuration générale, un plan non encore détaillé mais en voie de l’être et je remplis progressivement, mais pas dans l’ordre, ces trous, par petites touches. À certains moments, il me semble que tout se confond, tout s’interpénètre, c’est à la fois le gage d’une certaine cohérence, mais en même temps le danger de la confusion.

     

    31.01.2011

    Fin du premier mois. J’ai un peu cessé de compter les pages et même si je tente de maintenir le protocole, il n’est plus qu’une nécessité un peu lointaine (je sais juste qu’à J+ 30, j’ai environ 38 pages, avec pages de garde). Au-delà de ces préoccupations un peu triviales, ce sont des questions plus complexes qui se posent, concernant des délimitations du champ théorique, mais aussi la place et la nécessité de commenter les différentes théories du langage ou sur le langage et leur place dans les interrogations des artistes. Pour l’instant, je suis installée dans la première partie, celle qui porte sur les textes des artistes, qui vise à délimiter un territoire (trouvé hier un des derniers livres de JF Chevrier intitulé Des territoires qui critique cette notion de territoire qui a envahi le vocabulaire artistique et esthétique, entre autres), celui de textes dont je ne suis pas sûre qu’il faille les nommer « théoriques », même s’il faudra reprendre la formule que Buren utilise et emprunte à Althusser de « pratique théorique », je doute de la formulation de texte « théorique ». Le principe de ces textes des artistes n’est pas de faire une théorie – contrairement aux artistes conceptuels ? – mais alors, quoi ? Que font-ils ? Il y a cette dimension autoréflexive dans ces textes, mais sans la dimension tautologique des textes-œuvres des artistes conceptuels. Autoréflexivité à laquelle je m’emploie également ici dans ce qui n’est pas un journal, mais peut-être quelque chose comme une chronique ? L’autoréflexivité ne suppose cependant pas de rapport biographique. Ce n’est pas le sujet qui est en question, mais la pratique de l’art et les œuvres. La question de la définition de ces textes et de leur statut est au cœur du travail entrepris, cela m’apparaît plus nettement.

  • J125 Retour / J35

    -creer le 5 mai 2011 - modifie le 5 mai 2011

    04.02.2011 / J+34 / J35

    Est-ce un journal ou une chronique ? N’appréciant pas le terme de journal qui renvoie à une forme d’intimité qui ne me sied pas et qui ne correspond ni à l’esprit de ce qui relève d’une forme de travail certes annexe de celui de l’écriture de la thèse, mais tout de même réflexif, ni au sujet de la thèse elle-même qui porte sur un type d’écriture lui aussi réflexif et distancé par rapport à ce qui serait une forme de récit du quotidien, j’interrogeais mon amie Pascalle M. sur ce qui distingue selon elle le journal de la chronique, ce à quoi elle me répond, qu’il lui semble que la différence tient à ce qui est relaté. Un journal tenant le sujet au centre du récit quand la chronique s’attache à des événements dont l’auteur est le témoin. Puis quelques heures après, PM ajoute que cela a surtout à voir avec la position de celui qui écrit. Au centre pour le journal, périphérique pour la chronique. Ce pourquoi, et je la cite, « les chroniques sont une chose si ancienne et les journaux un fait d’écriture récent (tout étant relatif) ». Du coup, je continue à m’interroger sur ce qu’est ce « journal » qui porte mal son nom, et dont le nom ne renvoie qu’à la datation, à la temporalité. Mais cette temporalité a ici quelque chose d’artificiel puisqu’elle n’est signalée et formalisée que dans le cadre du déroulé d’une temporalité finie, dans un horizon déterminé. C’est dans le parallèle avec le travail en train de se faire que le temps est ainsi marqué, suivant cette espérance qui est aussi une nécessité que le nombre de jours augmentant, le nombre de pages augmente aussi. Ce n’est donc pas tellement les jours du calendrier qui sont une manière de se situer dans une temporalité générale, mais le décompte des jours qui passent, qui importe ici pour ce journal qui n’en est pas un. Un texte de Barthes dans Le bruissement de la langue sur le journal et qui a pour titre « Délibération », dans lequel il s’interroge sur la tenue d’un journal, sur la nécessité et le sens de cette pratique d’écriture dont il doute, dans un premier temps, de la valeur. La justification d’un journal intime ne peut être, dit-il, que littéraire. Les doutes de Barthes sur le journal s’étendent au fil du texte – ce n’est pas un texte que le journal, dit-il encore. Le journal est un discours. « Mais le Journal ne peut-il être précisément considéré et pratiqué comme cette forme qui exprime essentiellement l’inessentiel du monde, le monde comme inessentiel ? – Pour cela, il faudrait que le sujet du Journal fût le monde, et non pas moi ; sinon, ce qui est énoncé, c’est une sorte d’égotisme qui fait écran entre le monde et l’écriture ; j’ai beau faire je deviens consistant, face au monde qui ne l’est pas. Comment tenir un Journal sans égotisme ? » C’est bien la question. Et c’est bien pour cela que je ne tiens pas à ce que cet objet encore indéfini : texte/discours/journal/chronique… soit désigné par le terme de journal.

  • J125 Retour / J39

    -creer le 5 mai 2011 - modifie le 5 mai 2011

    08.02.2011 / J+38 / J39

    Sur le journal (intime) dans Le livre à venir de Maurice Blanchot, sur la soumission à une « clause d’apparence légère, mais redoutable » que cette forme qui, dit Blanchot, paraît si dégagée des formes et si dociles aux mouvements de la vie et capable de toutes les libertés ; cette clause redoutable : le respect du calendrier.


    « C’est là le pacte qu’il signe. Le calendrier est son démon, l’inspirateur, le compositeur, le provocateur et le gardien. Écrire son journal intime, c’est se mettre momentanément sous la protection des jours communs, mettre l’écriture sous cette protection, et c’est aussi se protéger de l’écriture en la soumettant à cette régularité heureuse qu’on s’engage à ne pas menacer. Ce qui s’écrit s’enracine alors, bon gré mal gré, dans le quotidien et dans la perspective que le quotidien délimite. »


    Inutile de commenter.

  • J128 Retour / J48

    -creer le 8 mai 2011 - modifie le 9 mai 2011

    17.02.2011 / J+47 / J48

    Il y a quelque chose de rassurant à comprendre les raisons profondes et/ou cachées d’un travail. L’écriture est au centre du projet. Ce qui est important dans le sujet de mon travail, c’est bien le rapport à l’écriture que les artistes entretiennent, de quel type est ce rapport ? C’est ce qu’il me faut définir. Le travail entrepris dans la thèse et dans cette chronique est au fond un travail en miroir, ce que je cherche à comprendre et débusquer dans le rapport à l’écriture chez les artistes des années soixante se trouve mis en pratique dans cette chronique. Reprenant la formule que Daniel Buren emprunte à Althusser de « pratique théorique », c’est sous cette désignation même que pourrait se donner à lire le travail qui s’élabore ici, dans une sorte de déplacement particulier qu’offre l’écriture dématérialisée de la résidence. J’aborde, dans une sous-partie du premier chapitre de la première partie (…) le rapport texte/image dans le livre de Broodthaers à partir du poème de Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Le passage de l’écriture à la figure, sa transformation par Broodthaers qui maintient l’espacement blanc à l’origine du poème - cet espacement de la lecture que revendique Mallarmé - en remplaçant les mots du poème par des rectangles noirs. Relisant Mallarmé, j’y trouve cette réflexion de la littérature sur et par elle-même, pensée de l’écriture par la pratique elle-même.

    Dans Quant au livre, ce passage de « L’action restreinte » :


    « … Au gré, selon la disposition, plénitude, hâte.


    Ton acte toujours s’applique à du papier ; car méditer, sans traces, devient évanescent, ni que s’exalte l’instinct en quelque geste véhément et perdu que tu cherchas.


    Écrire –


    L’encrier, cristal comme une conscience, avec sa goutte, au fond, de ténèbres relative à ce que quelque chose soit : puis, écarte la lampe.


    Tu remarqueras, on n’écrit pas, lumineusement, sur champ obscur, l’alphabet des astres, seul, ainsi s’indique, ébauché ou interrompu ; l’homme poursuit noir sur blanc. »

  • J129 Retour / J54

    -creer le 9 mai 2011 - modifie le 9 mai 2011

    23.02.2011 / J+53 / J54

    Comme je répondais à mon amie libraire N.L qui, me dit-elle, navigue à vue, je crois naviguer à vue également, ou, en l’occurrence, la vue même vient à manquer. La difficulté est à présent qu’une première partie délimitant un territoire constitué par des textes d’artistes qui n’ont pas la fonction de dispositif telle que je voudrais la développer est écrite, je ne sais plus comment poursuivre, je rentre maintenant dans le « vif » du sujet, vif à tous les sens, vif comme vivant, encore en mouvement dans mon esprit et vif car c’est plus ténu, plus tendu également. Je me suis rendu compte hier soir en relisant la cinquantaine de pages écrites que la question de l’écriture était très présente, mais au sens quasi littéraire et qu’il s’agit à présent de désigner et de comprendre, au sens de prendre avec soi, ces « textes comme dispositifs » et de montrer ce qu’ils font voir.

  • J129 Retour / J71

    -creer le 9 mai 2011 - modifie le 9 mai 2011

    12.03.2011 / J+70 / J71

    Ai traversé hier le jardin du Palais Royal en sortant de la bibliothèque nationale pour y consulter le catalogue de Buren au Capc de Bordeaux et l’entretien qui y figure sur ces Arguments topiques qui donnent son nom à l’exposition. Ai donc, après les propos sur l’architecture des entrepôts Lainé, sur leur poids et la manière dont la proposition plastique de Buren est venue déjouer la puissance du lieu en le renvoyant à lui-même, traversé les Deux plateaux, plus communément appelés les « colonnes de Buren » au cœur du Palais Royal. Installation si décriée et qui pourtant fonctionne toujours auprès d’un public qui vient s’y mettre en scène, se photographiant triomphant debout au sommet d’une des colonnes, à plusieurs sur les colonnes de hauteur différente. Cette mise en scène, au centre de cette architecture qui elle-même met en scène le pouvoir (royal) renvoie à ce théâtre de la production dont Barthes qualifie le texte et qui me sert à montrer les rapports du texte au dispositif en passant par la théâtralisation du rapport entre l’œuvre et le spectateur. Il s’agit d’inscrire le corps du spectateur dans un certain rapport perceptif à l’environnement et qui dépasse, déplace le regard convergent sur l’œuvre bi-dimensionnelle vers ce regard divergent que prône Buren dans ses textes.

  • J129 Buren à Metz

    -creer le 9 mai 2011 - modifie le 17 mai 2011

    Il y a trois jours, exposition de Daniel Buren à Metz, Échos. Travaux in situ, exposition qui occupe la troisième galerie du Centre Pompidou-Metz. Deux installations, l’une fermée, l’autre ouverte. L’une forme un labyrinthe, constitué de formes géométriques enchâssées les unes dans les autres et chacune d’une couleur, couleurs qui se succèdent par ordre alphabétique (bleu, jaune, rose, rouge, vert). L’extérieur des formes géométriques autour desquelles on peut marcher est constitué d’une laque noire réfléchissante. Des ouvertures sont ménagées dans les formes (rappelant les Cabanes éclatées), sortes d’extensions de la forme elle-même autorisant la pénétration et signalées, sur leur tranche par "l’outil visuel". Une fois à l’intérieur, et comme le criait une petite fille courant de salle en salle, on s’y perd. L’autre salle est recouverte de miroir, toute entière renvoyant à la vue sur la cathédrale de Metz.

    Le miroir et le labyrinthe désignent, dans la deuxième partie que j’entame actuellement, ce que je nomme les "formes de l’expérience". Dans un texte de Robert Morris intitulé "Aligned with Nazca", dans lequel, à la suite d’un voyage au Pérou pour voir, en fait, justement percevoir les géoglyphes dans le désert de Nazca, il confronte deux modes de vision et de perception de l’espace. Contre une vision attendue qui est celle de la photographie aérienne (celle orthonormée, cartésienne qui formalise la bi- et la tri-dimensionnalité), il propose un regard à même le sol, s’inscrivant dans l’horizon de ces lignes qu’il préfère suivre depuis le sol que voir depuis le ciel. Une manière de lecture (il voit ces lignes comme une forme d’écriture) avec le corps, avec les pieds. Justement, Morris parle du labyrinthe, cité comme exemple d’une forme qui induit nécessairement une vision déplacée, et mentalisée, puisqu’il ne peut être "vu", qu’en plan.

    JLP me le disait en traversant le labyrinthe des salles de Buren, seul Icare peut voir le labyrinthe, parce qu’il vole.

    Morris l’écrit : "Un labyrinthe n’est compréhensible que vu du haut, en plan ; quand il a été réduit à la planéité et que nous sommes extérieur au méandre spatial. Mais de telles réductions sont aussi étrangères à l’expérience spatiale que les photographies nous représentant le sont à notre propre expérience de soi." Morris compare en effet la forme du labyrinthe à la recherche de soi.

    Dans la salle du "labyrinthe" de Buren, il est du coup assez troublant de voir cette image - en fait il s’agit d’un dispositif de télé surveillance qui permet de voir les spectateurs traverser les couleurs - en surplomb, qui se justifie, semble-t-il par la nécessité de faire voir les formes géométriques emboîtées et donne une vision globale du dispositif. Cela semble renvoyer à ces "indications à lire comme description d’un travail à voir" que Buren donnait dans les années soixante-dix et qui désignent à la fois où, et comment il faut voir.

    Une manière de déplacer la vision, de faire ce "pas de côté" auquel convie aussi Pistoletto. 

    Le passage dans l’autre salle de Buren est littéralement ouverture du regard vers l’extérieur, redoublé par l’effet de miroir.

    Il me semble, à l’appui de ce que j’ai pu voir là, et c’est ce que je vais essayer de montrer maintenant, que l’écriture, à l’image des lignes de Nazca, donne ou ouvre sur l’espace, un espace à parcourir, à percevoir. Si ma première partie traitait essentiellement des textes, des rapports de l’art et du langage, ou avec le langage, il s’agit à présent de "passer" dans l’espace, du langage à l’espace.

    L’époque actuelle, disait Foucault en 1967 dans sa conférence au Cercle d’études architecturales "Des espace autres", est plutôt l’époque de l’espace. Nous sommes, dit-il, à l’époque "du simultané, nous sommes à l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé (...) à une époque où l’espace se donne sous la forme de relations d’emplacements." Pour parler de ces espaces "autres", ces "hétérotopies", Foucault cite le miroir, comme une sorte d’expérience mixte, mitoyenne entre les utopies qui sont des emplacements sans lieu réel et ces hétérotopies qui sont des emplacements absolument autres.

    Galerie image

  • J130 Retour / J73

    -creer le 10 mai 2011 - modifie le 10 mai 2011

    14.03.2011 / J+72 / J73

    Je prépare une intervention pour le séminaire « Ecritures d‘artistes », dans quatre jours, sur Daniel Buren qui a pour titre le titre d’un texte-descriptif de Buren : « Indications à lire comme description d’un travail à voir » : les textes de Daniel Buren à la lumière des dispositifs, et qui constituera un chapitre. Il s’agit de montrer comment les textes descriptifs qui donnent une/des indication(s) sur le comment voir les œuvres se retrouvent dans les textes dits spécifiques qui dépassent ou élargissent le champ de la théorie de l’art à la fois par l’usage qu’ils font du langage et le rapport aux œuvres. Ce titre de Buren est pourtant à décomposer, car l’indication ne donne pas à voir mais à lire comme description. Le processus est ici d’indiquer qu’il faut lire et que cette lecture décrit ce qui est à voir, c’est-à-dire expliquer ce qu’il faut voir – et pas nécessairement « comment ». Dans un texte-descriptif, Buren explique les raisons pour lesquelles à chaque exposition un texte est écrit (accompagné d’un plan), ce texte donne « aux spectateurs les éléments nécessaires à la compréhension de la construction de la pièce ainsi que de son articulation ». Il ne s’agit pas seulement d’expliquer, écrit Buren, mais d’ôter « l’illusion possible que pourrait créer une incompréhension au niveau matériel du faire ». Le texte vient dissiper l’illusion des effets du hasard, de l’inspiration ou de l’esthétisme écrit-il encore. Ce qui me semble intéressant c’est le lien entre le plan et le texte. Le texte et le plan jouent le même rôle, ont la même fonction, de permettre de se repérer, de se situer dans l’espace de l’œuvre, dans l’espace de la galerie, dans l’espace des raisons de l’œuvre et dans celui de la pensée.

  • J133 Retour / J84

    -creer le 13 mai 2011 - modifie le 13 mai 2011

    25.03.2011 / J+83 / J84

    Etat de suspension depuis l’intervention au séminaire. Un bref échange avec AMD, qui suggère d’ajouter un artiste aux deux sur lesquels je travaille afin de ne pas stigmatiser un dialogisme et une forme comparative problématique, a suspendu le cours de l’écriture. Je sais que le choix d’un autre artiste – bien tardif – va orienter considérablement tout le propos de la thèse, va lui donner une coloration différente. C’est d’ailleurs intéressant que l’outsider soit celui qui vienne donner sa couleur à l’ensemble. J’ai parcouru les différentes possibilités, consciente de cette nécessité et en même temps gênée par la légère transformation que cela va nécessairement produire sur mon propos. Le choix est difficile et m’éclaire aussi par la spécificité des textes que j’étudie. Si beaucoup d’artistes ont écrit depuis les années soixante, peu ont produit le type de textes sur lesquels je travaille et qui servent à développer mon propos sur les textes-dispositifs. Il y a des textes critiques, des textes théoriques, des textes narratifs, des textes descriptifs, explicatifs, biographiques ou poétiques. Mais ces textes qui ont à la fois une dimension théorique tout en venant de la pratique et y renvoyant, qui ont une fonction opérative qui engage le regard et le corps de l’artiste et du spectateur, qui répondent à une disposition que l’œuvre met en scène, ces textes sont rares. J’ai mis quelques noms de côté, je vais essayer de poursuivre et de finir cette première partie consacrée aux textes avant de prendre la décision colorante.

  • J133 Dernier retour / J93

    -creer le 13 mai 2011 - modifie le 19 mai 2011

    03.04.2011 / J+92 /J93

    Dans un texte de Gilles Tiberghien sur « Luigi Pareyson, Reproduction, Traduction, Interprétation », se trouvent développées les différentes conceptions sur la traduction ou l’interprétation des auteurs de l’Ecole dite de Turin, dont Benedetto Croce et Giovanni Gentile. Je découvre, à l’occasion de cette lecture la pensée de Gentile – avec d’autant plus de plaisir que mon amie Giulia porte son nom (c’est son arrière grand-père). Ainsi, à propos de la traduction qui est à la fois impossible et obligatoire : impossible car il s’agit à chaque fois d’une transformation d’une œuvre en une autre puisque forme et contenu sont toujours indissociables et obligatoire parce que la réalité spirituelle de l’œuvre est en perpétuel mouvement. Tiberghien écrit : « La langue est un acte et non un produit ; elle doit, pour reprendre la distinction de Humboldt, être conçue non comme ergon mais comme energeia. » À la question de la vérité de l’œuvre et de la manière dont la critique peut en rendre compte, à travers différentes interprétations ou traductions, comment approche-t-on de la vérité de l’œuvre à travers la critique ? Gentile écrit :

    « la vérité, objet de notre recherche, n’est jamais dans notre dos, comme présupposé de notre pensée, mais devant nous comme produit de notre œuvre. Ainsi, de cette façon approchons-nous d’une vérité toujours plus objective de laquelle d’autres après nous pourrons s’approcher encore plus. » 

  • J139

    -creer le 19 mai 2011 - modifie le 19 mai 2011

    19.05.2011 / J139

    À présent, me voici en phase avec cette chronique ou ce journal ou ce récit d’écriture et de recherche.

    Je recommence.

    Comme d’ailleurs, puisque j’entame la deuxième partie, j’ai l’impression de recommencer à zéro (la première partie est imprimée et postée, partie). Je commence l’analyse des œuvres et je cherche à montrer que l’écriture des textes, dans sa dimension performative, a ouvert un espace qui est celui dont les œuvres ont besoin pour être vues et perçues.

    Je me retrouve un peu dans un creux, entre les deux parties – dans ces cas-là, je parcours ma bibliothèque, à la recherche d’un livre. J’y trouve un autre, que je ne cherchais pas (ou du moins que je ne cherchais pas là ni à ce moment là, mais qui faisait partie de l’horizon à appréhender). Il s’agit des Variétés 1 et 2 de Paul Valéry. Je l’ouvre et tombe sur une phrase notée il y a quelque temps et que je ne retrouvais plus, la voici dans son contexte :

    « Mallarmé, m’ayant lu le plus uniment du monde son Coup de dés, comme simple préparation à une plus grande surprise, me fit enfin considérer le dispositif. Il me sembla de voir la figure d’une pensée, pour la première fois placée dans notre espace… Ici, véritablement l’étendue parlait, songeait, enfantait des formes temporelles. L’attente, le doute, la concentration étaient choses visibles. Ma vue avait affaire à des silences qui auraient pris corps. Je contemplais à mon aise d’inappréciables instants : la fraction d’une seconde, pendant laquelle s’étonne, brille, s’anéantit une idée ; l’atome de temps, germe de siècles psychologiques et de conséquences infinies, - paraissaient enfin comme des êtres, tout environnés de leur néant rendu sensible. »

    L’étendue parlait, dit Valéry à propos de ce dispositif mallarméen. Voir la figure d’une pensée placée dans notre espace. Le projet de ce travail sur les textes d’artistes trouve dans ces mots de Valéry tout à la fois une sorte de justification et un sens, une perspective.

    Je ne peux pas, cependant, ne pas m’inquiéter de ce genre de « hasard » qui me fait trouver parfois, retrouver ici, une phrase, un texte, une réflexion ou une pensée qui entre en résonnance ou se conjugue avec le sujet de la recherche dans l’instant précis d’un suspens de l’écriture, qui tout d’un coup trouve sa juste place dans le cours des idées et vient, selon, permettre de poursuivre et de reprendre ce qui paraissait l’instant d’avant vague ou lointain. Étrange sensation que les choses, mais aussi l’écriture et même au fond la pensée tient à peu.

  • J150 - La réalité de l’espace

    -creer le 30 mai 2011 - modifie le 30 mai 2011

    La réalité de l’espace.

    Me voici entrée dans la deuxième partie, celle qui me fait passer des textes à l’espace à partir de ce fameux texte de Foucault dans lequel il délie (ou délivre) le langage et l’écriture de leur appartenance temporelle pour les déclarer ordonnés à l’espace. 

    "Ecrire, pendant des siècles, s’est ordonné au temps."

    Plus loin, ceci : "le langage est (ou, peut-être, est devenu) chose d’espace (...) c’est dans l’espace que le langage d’entrée de jeu se déploie, glisse sur lui-même, détermine ses choix, dessine ses figures et ses translations."

    Et encore ceci, où se retrouve certains "motifs" à l’oeuvre dans le travail des artistes et des écrivains des années soixante - le texte porte d’ailleurs sur des écrivains, il s’agissait d’un texte publié dans la revue Critique, notamment Roger Laporte (celui que je découvrais au début de cette résidence et dont la lecture accompagne de loin en loin ce travail), Le Clézio, Claude Ollier, Michel Butor - :

    "L’écart, la distance, l’intermédiaire, la dispersion, la fracture, la différence ne sont pas les thèmes de la littérature d’aujourd’hui ; mais ce en quoi le langage maintenant nous est donné et vient jusqu’à nous : ce qui fait qu’il parle."

    Donc, passer du langage à l’espace ; tel est le projet de cette partie, montrer comment l’écriture du texte, d’un texte, est une première manière de "quitter l’atelier", avant même d’investir l’espace naturel, la terre, le paysage, l’étendue, avant même de se situer ou de situer les oeuvres dans le champ spatial. L’éclatement des catégories artistiques, l’ouverture des frontières de l’art ne passent pas seulement par ces formes d’expérimentations artistiques dépassant la séparation entre peinture et sculpture et élargissent le champ de la sculpture ou celui de l’art. L’écriture, l’usage de l’écriture constitue une première forme, peut-être pas d’hybridation, le mot n’est pas juste, mais d’enchevêtrement produisant une forme d’hétérogénéité. Cette même forme d’hétérogénéité que l’on trouve dans l’oeuvre de Morris, ou bien celle de Pistoletto qui renvoie à cette notion d’hétéroclite (celle propre à l’écriture de Borgès, pour Foucault) et qui préfigure la notion d’hétérotopie telle qu’elle sera explicitée par la conférence de 1967 que Foucault donne devant des architectes. L’hétéroclite est à entendre, dit-il, au plus près de son étymologie, c’est-à-dire là où "les choses sont "couchées", "posées", "disposées" dans des sites à ce point différent qu’il est impossible de trouver pour eux un espace d’accueil, de définir au-dessus des uns et des autres un lieu commun."

    Les murs du musée ou de la galerie, l’espace urbain, l’espace public, la rue, un parking, un plan d’eau, le métro, le journal, le désert, la scène d’un théâtre... que sont ces lieux et qu’ont-ils de commun pour accueillir les oeuvres des artistes ? À quelle réalité de l’espace font-ils appel ?

  • J151 - Une pratique du dehors

    -creer le 31 mai 2011 - modifie le 31 mai 2011

    Je ne compte plus les pages.

    Se dessine dans le texte une pratique du dehors que j’ai sans doute préfigurée d’une certaine manière en prenant un peu (trop) de distance.

    Distance subie plutôt que voulue, inscrite dans le creux entre deux parties et dans l’ouverture à l’espace, non pas celui réel que le soleil éclaire ces temps-ci, mais celui que les artistes explorent de multiples manières, par leur corps, par les objets qu’ils mettent en place et qu’ils situent, par leur déplacement.

    Fantasme de l’immersion qui se complaît peut-être à rêver d’un espace à parcourir. J’avais pensé retourner le 21 juin, à l’Observatory de Robert Morris, à Lelystad au nord d’Amsterdam où nous sommes allés cet hiver, le 21 décembre, pour voir le soleil se lever.

    Il faisait - 17°, du blanc partout, de la glace et de la neige, du silence.

    Je cherche quelques informations et découvre qu’un festival à lieu au mois de juin, chaque année, au coeur de l’observatoire de Morris, chaise en plastique installée au milieu, estrade, micro, guitare et poésie de 5 heures du matin à 9 heures puis encore l’après-midi. On peut voir un foule joyeuse se presser au milieu de l’oeuvre de Morris.

    Finalement, mieux vaut songer à cette blancheur silencieuse et au faible soleil d’hiver.

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  • J154 - Entre l’énoncé du vent et le vent

    -creer le 3 juin 2011 - modifie le 3 juin 2011

    3 juin 2011- J 154

     

    Je m’interrogeais ce matin sur la différence qu’il y aurait entre les notions de pratique et d’expérience, à propos de l’espace. 


    Il y a dans L’invention du quotidien de Michel de Certeau cela sur l’espace et ce qui le différencie du lieu que l’espace est un « lieu pratiqué », ce qui induit temps et mouvement. En ce sens, la marche, dit-il, est une réalisation spatiale du lieu, j’y entends une « actualisation » au sens aristotélicien du lieu qui devient espace.


    Ainsi, je me demandais ce qui différencie cette notion de pratique de celle d’expérience. Y aurait-il une différence d’intention ou de participation ? Une pratique de l’espace serait « motivée » (en tous les sens du terme) et donc active alors qu’une expérience de l’espace est passive, reçue ? Il y aurait dans la pratique de l’espace une mise en mouvement qui serait intérieure, qui viendrait de l’intérieur (qu’est, dès lors, cet intérieur ?) quand l’expérience de l’espace viendrait de l’extérieur, d’une série de stimulations externes qui engagent tous les sens ? Il me semble que les propositions artistiques peuvent se penser comme étant à la lisière entre cette pratique et cette expérience de l’espace dont il me reste à penser les modalités.


    Lu cela, dans cette Lettre à personne qui continue à m’accompagner dans l’écriture comme dans la réflexion :


    « Georges Bataille écrit : « La différence entre expérience intérieure et philosophie réside principalement en ce que, dans l’expérience, l’énoncé n’est rien, sinon un moyen et même, autant qu’un moyen, un obstacle ; ce qui compte n’est plus l’énoncé du vent, c’est le vent. » (O.C., t. V, p. 25). Contrairement à Bataille, je ne pense pas que l’énoncé soit un obstacle, puisque, selon moi, il est au contraire un moyen tout à fait nécessaire, mais de même que G.B… oppose expérience intérieure et philosophie, de même j’oppose « biographie » et discours philosophique : pour le philosophe, du moins me semble-t-il, le discours (la réflexion qui aboutit à un juste énoncé) est primordial, tandis que, pour le « biographe », le plus important c’est le cheminement, la vie, l’histoire, l’expérience – même si le cœur de l’expérience est non-expérience. »


    N’y a-t-il pas quelque chose entre l’énoncé du vent et le vent lui-même ? N’y a-t-il pas un lieu, un espace plutôt (de Certeau) entre le discours et le cheminement ? Un discours du cheminement, donc ?

  • J157

    -creer le 6 juin 2011 - modifie le 6 juin 2011

    6 juin 2011 –J157


    J’ai un peu dérogé à la règle ces derniers temps, celle que je m’étais imposée dès le 1er janvier – règle d’ascétisme. J’ai tenu quatre mois, quatre mois que je suis obligée de considérer comme relativement productif. Est-ce la reprise, très modérée d’une vie d’apparence normale ou bien seulement l’usure qui me tient légèrement à distance de mon travail ? Je ne sais. Ce samedi, sans doute un peu d’exagération. Un temps d’orage qui s’est comme étendu – jusqu’au dîner chez Arthur A. et Elodie I.

    Elodie I. me demandait pourquoi ne pas exposer – dans cette résidence - les conditions d’écriture, mais il me semble que ce qui accompagne le récit ou l’exposé de ces conditions a quelque chose de l’ordre du « biographique » ou du journal et sort du principe de cette chronique. (Je remarque, du coup, que je ne lui ai pas trouvé de désignation. Celui de résidence est sans doute celui qui est le plus adapté, dans la mesure où ce travail m’assigne à résidence.)

    Pour reprendre l’opposition entre discours philosophique et biographie – selon les termes de R. L. – la question d’Elodie me semble juste, mais je ne suis pas sûre de savoir y répondre, de quelle manière exposer les conditions de l’écriture sans entrer dans le « biographique » ? Y a-t-il un récit de l’expérience qui se tienne hors du récit personnel ? Je crois que c’est le propre, justement, de ces textes d’artistes, dans leur faculté à dire quelque chose du réel, d’un réel en train de se faire, sans en exposer la part anecdotique. Du nécessaire et de la contingence, sans les scories du quotidien. Simplement dire le nécessaire – l’exigence d’écrire :

    « Ecrire, c’est-à-dire répondre à l’exigence d’écrire, obéir à l’impératif, dire cette exigence, c’est en effet s’acheminer vers…, avancer vers… - aventure qui rétroagit sur le sujet de l’écriture, voire sur l’homme, d’où le risque permanent : se détourner. Ecrire c’est ouvrir, trouver un chemin vers… Longtemps on ne sait pas vers quoi (en admettant qu’un jour on puisse vraiment répondre à cette question !), mais on sait     seulement d’une expérience douloureuse que le chemin est toujours plus difficile, qu’à partir d’un certain moment faire un seul pas au-delà devient une aventure à peu près impraticable. »

    encore R.L.

  • J167 - du temps

    -creer le 16 juin 2011 - modifie le 16 juin 2011

    16 juin 2011 – J167

    10 jours sont passés. Je me sens prise dans l’étau d’une double temporalité : la lenteur du travail, de l’étude, de l’écriture et la rapidité imposée par le temps, disons le cadre temporel que je me suis imposé. Je projette sans cesse une échéance (fin de la deuxième partie pour le 1er juillet) et me trouve prise dans l’écart ténu qu’il constitue, réalise et impose, dans ce cours du temps, qui, indéniablement passe plus vite que je ne le voudrais…

  • J172 - Une spatialité de situation

    -creer le 21 juin 2011 - modifie le 21 juin 2011

    21 juin 2011 – J172

    Petit répit. JLP, 3 jours pour 12+2. De l’eau, des frênes, des châtaigniers et des chênes. Un grand ciel gris, pluvieux et venteux, une prairie d’herbes folles devant la fenêtre qui descend jusqu’au sol. Pas de thèse (ou peu). Du sommeil, en revanche (ici la formule semble prendre tout son sens). De retour, le travail a repris. Je déambule entre les « objets en moins » de Pistoletto, les cabanes éclatées de Buren, et les formes unitaires de Morris, entre, à travers et autour de ces objets qui laissent place à un espace vide dans lequel se meut le corps et me trouve confrontée à cette spatialité de situation dont parle Merleau-Ponty, selon l’idée que la spatialité du corps propre n’est pas celle d’un objet extérieur, elle n’est pas celle d’une spatialité de position, mais d’une spatialité de situation car le schéma corporel est dynamique. C’est donc à travers le corps en mouvement que la perception de l’espace donne lieu à une situation. Situation ressentie, d’ailleurs, dans le petit bois de frênes, de chênes et de châtaigniers, le bruit du vent dans les feuilles des grands arbres, le grincement des grands pins les uns contre les autres, les craquements, le chant des mésanges à longue queue. Dépaysement.

  • J182 - de la contingence

    -creer le 7 juillet 2011 - modifie le 7 juillet 2011

    1er juillet 2011 – J182

    De la contingence. Qui bouscule le temps et l’espace. Perturbation de l’organisation qui rend difficile un travail en pointillé. Je ne peux, si je n’ai pas une plage (une page) de temps suffisante, me mettre au travail. Tout s’est bousculé, non pas dans une accélération, mais dans une forme chaotique d’occupation spatiale et temporelle. L’espace de travail est en chantier, comme l’épaule de JLP. Immobilisme. Mon corps et ma tête vont et viennent en tous sens, rendus disponibles à tous sauf à ces pages. Nuits en demi-teintes, en demi-sommeil.

  • J188 - En miroir

    -creer le 7 juillet 2011 - modifie le 7 juillet 2011

    7 juillet 2011 – J188

    À présent, je retrouve un peu de silence et de calme, même les cris des enfants de l’école maternelle voisine lors de leur sortie en récréation qui rythment d’habitude mes journées se sont tu. Me voici face au miroir.

    « De retour à l’origine, face au miroir, nous nous trouvons maintenant circonscrits par un art qui avance à quatre pattes ». Pistoletto, « Vie verticale – Trans cendance – Sur vivance – Gene ration » (1983).

    Face aux miroirs, ceux de Pistoletto, ceux de Morris, ceux de Buren. Pour chacun d’eux, il s’agit de miroirs différents, dont la nature est différente. Miroir spatialisant ou temporel, ils ouvrent certes sur une dimension autre de l’œuvre et de l’art mais selon des points de vue très différents qui pourtant se retrouvent dans ce commentaire que fait Hal Foster évoquant, dans Le retour du réel, l’expérience d’une œuvre en miroir de Robert Morris composée de quatre poutres de bois disposées en un long rectangle, un miroir placé derrière chaque coin afin de refléter les autres, qu’une petite fille parcourait en une performance qui renvoyait à l’auteur le sens propre de l’œuvre, à la fois sur la fonction paradoxale du miroir et de manière allégorique sur les enjeux de l’avant-garde :

    « Sa façon de jouer avec l’œuvre exprimait non seulement certaines préoccupations spécifiques de l’art minimal – les tensions entre les espaces que nous percevons, les images que nous voyons et les formes que nous connaissons -, mais aussi l’évolution générale de l’art au cours de trois dernières décennies – nouvelles manières d’intervenir dans l’espace, de construire le regard et de définir plus librement ce qu’est l’art lui-même. Sa « performance » prenait également un tour allégorique en ce qu’elle décrivait une figure paradoxale dans l’espace, un mouvement d’éloignement qui était aussi un retour, et qui évoquait pour moi la figure paradoxale dessinée dans le temps par l’avant-garde. »

    Il s’agit à présent de conjuguer ces espaces-temps, leur réflexion, avec les miroirs des artistes, les tableaux-miroirs de Pistoletto, les cubes en miroir de Morris et les cabanes éclatées, en miroir de Buren. 

    Je suis un peu, dans l’écriture, comme devant les tableaux-miroirs de Pistoletto, au seuil de la représentation, dans un espace intermédiaire qui me réfléchit comme je le réfléchis. L’écriture est-elle miroir ? Ici, pour moi, et là, pour les artistes ?

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  • J193 - Dans le labyrinthe

    -creer le 12 juillet 2011 - modifie le 12 juillet 2011

    12 juillet 2011 – J193

    J’en ai fini avec les miroirs ; j’entre dans le labyrinthe, ces deux formes de l’expérience se conjuguant pour interroger, dans l’espace et dans le temps, les modalités d’existence au monde, de l’art et de l’artiste, de chaque individu. Ils perturbent les continuités, fragmentent l’image idéalisée du réel, bousculent l’idée de totalité, celle d’une voie tracée, celle du temps à venir. Ils en appellent à une expérience subjective qui est elle-même de fragmentation, de discontinuité, d’imprévu et d’aléatoire, d’inconnu et d’intranquillité (Pessoa), de bifurcations et d’impasses, de retour en arrière et de déformation.

    Oui, un peu sombre aujourd’hui. C’est d’entrer dans ce labyrinthe dans lequel je suis au fond depuis un moment.

    Le labyrinthe de l’écriture.

    Etrange de constater l’intérêt majeur des écrivains du nouveau roman mais aussi de nombreux écrivains des années soixante : Robbe-Grillet, Butor, Caillois, Borgès, Perec, Calvino, entre autres, mais aussi Roussel et Foucault (bien qu’il n’en fasse pas, contrairement au miroir, un modèle d’hétérotopie), Bataille, Blanchot s’y intéressent aussi. Morris en construit, Pistoletto également, Buren nomme une de ses expositions Dans le labyrinthe, celle de Morris à Lyon en 1998, 1999 et 2000, trois installations qui sont sous-titrées The Mirror to the Labyrinth et Pistoletto reprend une forme labyrinthique pour la scénographie, le parcours et le catalogue de l’exposition à Lyon en 2001 intitulée Continenti di tempo.

    Le labyrinthe est un espace double en ce sens qu’il met en scène un égarement, une perte, et dans le même mouvement une réflexion, un travail de la pensée, une volonté de contrôle. Parcours initiatique, quête de sens ou d’identité, le mythe de Thésée et du Minotaure est riche, mais ce sont ces développements dans l’écriture et dans l’art des années soixante qui sont intéressants, dans les rapports au corps, à l’espace et au temps. Le labyrinthe, en tant qu’espace double – il referme, renferme géométriquement une forme de chaos, il cadre l’infini – et que temps suspendu, a à voir avec les discontinuités qui forment et fondent les travaux des artistes de mon corpus. Discontinuités à l’image de ce monde chaotique que renferme le labyrinthe et dont on sort par un fil, une trame. Les textes des artistes ne sont-ils pas, dès lors, le fil, la trame, qui permet de sortir du labyrinthe spatial et temporel des œuvres ?

    Trouvé cela, dans Le miroir qui revient de Robbe-Grillet et avant d’entamer la lecture de Dans le labyrinthe :

     « Tout cela c’est du réel, c’est-à-dire du fragmentaire, du fuyant, de l’inutile, si accidentel même et si particulier que tout événement y apparaît à chaque instant comme gratuit, et toute existence en fin de compte comme privée de la moindre signification unificatrice. L’avènement du roman moderne est précisément lié à cette découverte : le réel est discontinu, formé d’éléments juxtaposés sans raison dont chacun est unique, d’autant plus difficiles à saisir qu’ils surgissent de façon imprévue, hors de propos, aléatoire. »

  • J199 - Dédale

    -creer le 18 juillet 2011 - modifie le 20 juillet 2011

    18 juillet 2011 - J199

    C’est le jour de F. Je suis sortie du labyrinthe, hier, mais il me semblait, en lisant la préface de Roger Caillois à L’aleph de Borges :

    "Rien ne sert de s’efforcer : si loin qu’il s’aventure, l’homme demeure toujours aussi éloigné de l’impensable issue. Dans un labyrinthe, tout se répète ou paraît se répéter : corridors, carrefours et chambres. L’esprit supérieur qui le conçoit - philosophe ou mathématicien - le connaît fini. Mais l’errant qui en cherche inutilement la sortie l’éprouve infini, comme le temps, l’espace, la causalité."

    il me semblait que cela décrivait assez bien cette situation dans laquelle je suis depuis quelques semaines, de voir grossir cette forme mouvante qu’est le texte, de le voir gonfler de l’intérieur, reculant toujours l’issue, la repoussant devant moi alors même que le texte avance, que les chapitres se succèdent, que les sous-chapitres s’enchaînent, certes lentement, mais je mets fin, régulièrement, à telle ou telle petite partie. Pourtant, je suis, aussi, l’esprit qui le conçoit. J’ai l’impression de m’éloigner de jour en jour de l’issue, prise dans les méandres, les croisements, les bifurcations et les impasses du texte, illustrant à la fois cette figure ou ce motif du labyrinthe que la littérature moderne a tant utilisé, Borges, bien sûr, mais aussi, plus près : Butor ou Robbe-Grillet. Et puis, Morris, Buren et Pistoletto également comme forme construite, comme métaphore et comme structure (pour une exposition ou pour un catalogue), comme dispositif. Etrange sentiment de correspondance entre les motifs abordés et la poursuite ou conduite de ce texte vivant, mouvant qui est le mien. Celui que je conçois et dans lequel je me perds.

  • J201 - L’expérience d’un rythme

    -creer le 20 juillet 2011 - modifie le 20 juillet 2011

    20 juillet 2011 - J201

     

    Walter Benjamin fait un séjour de deux mois à Moscou fin 1926. Lorsqu’il écrit à Hugo van Hofmannsthal, à qui il n’a pas écrit depuis près d’un an, il est déjà rentré depuis plusieurs mois et tente depuis un moment de décrire son séjour. Il s’est fixé pour tâche, dit-il à Hofmannsthal, de mettre en évidence les phénomènes de l’existence concrète, mais c’est l’ignorance de la langue qui lui interdit d’aller au-delà d’une couche relativement mince.

    "Mais, plus encore que dans une optique, je me suis établi dans l’expérience d’un rythme, celle du temps, tel que les hommes le vivent là-bas, où la sensibilité russe originelle mêlée à la nouvelle donnée par la révolution fait un tout que j’ai trouvé, bien plus encore que je ne m’y étais attendu, hors de portée des mesures européennes."

     

    Cette "expérience d’un rythme", cet établissement dans l’expérience d’un rythme, dit, mieux encore Benjamin, résonne de manière particulière en ce moment que plus aucun autre rythme que celui du travail de l’écriture ne vient me perturber. Et cette absence de perturbation est presque douloureuse. Silence de la maison, silence de la cour (dans laquelle ne résonnent plus, je l’ai dit, les cris des enfants à la récréation), presque-silence de la ville dont les bruits semblent assourdis (mais pas par la chaleur inexistante), silence de l’été qui éloignent ceux qui nous entourent. Et si je sens à ce point cette expérience d’un rythme, c’est aussi que, même si je suis sortie du labyrinthe, je ne suis plus dans une optique. L’expérience du rythme m’éloigne de l’optique, je ne vois plus le plan.

  • J221 - Entre-deux

    -creer le 10 août 2011 - modifie le 19 août 2011

    10 août 2011 - J221

    "Toujours, devant l’image, nous sommes devant du temps", ainsi commence Devant le temps de Didi-Huberman et ceci qui précède :

    "Tout problème en un certain sens en est un d’emploi du temps." (Bataille)

    Brusques changements de temps, de territoire et de paysages, discontinuités, comme cette étendue bleu gris au-dessus de laquelle soleil ou nuages se succèdent à vive allure, "avec alternance et vis-à-vis" (Mallarmé).

    Entre-deux destinations, entre deux parties - la dernière est commencée, enfin. Celle précisément où se parcourt et se traverse en en maintenant l’écart cet espace blanc, cette zone intermédiaire, cet entre-deux, des textes et des oeuvres qui ont été, séparément et en deux parties, abordés jusqu’ici. Il me semble que tout se joue là, maintenant, alors je recule un peu, je repars.

  • J231 - En retour

    -creer le 19 août 2011 - modifie le 19 août 2011

    19 août 2011 - J231

     

    De retour, à mon poste.

    La troisième partie est engagée, celle qui met face à face textes et oeuvres, qui cherche à en tirer des lignes de fuite et des lignes de force (pour reprendre une formule deleuzienne), celle qui tente de se tenir dans l’équilibre plus ou moins stable de cette figure du funambule empruntée à Adorno à propos de Valéry pour désigner cette fonction de l’artiste, entre pratique et théorie, ou, mieux, pratiquant cette "pratique théorique" que Buren reprend à Althusser. Justement, dans l’avant-propos de Pour Marx, d’Althusser écrit par Etienne Balibar, je trouve ceci :

    "Pour les besoins de cette présentation, je viens de relire Pour Marx. À chaque pas j’ai cru y reconnaître le travail de l’intelligence - quelles qu’en soient les limites, et si "surdéterminé" qu’il soit par ses propres conditions, par la contrainte de son "objet" et de ses "objectifs". Il m’a semblé que ce travail avait été une expérience, faite sur les textes et sur soi-même, incertaine de son résultat comme toute expérience véritable, et dont la tension propre se reflète dans la qualité de son écriture."

    Il s’agit dès à présent de confronter l’intelligence des textes des artistes, leur intelligence théorique vis-à-vis du travail de transformation opéré par la pratique artistique, transformation de la matière, transformation de la forme, transformation de la vision. Mais aussi, le travail de transformation théorique opéré par les textes dans le champ plus vaste de la pensée de l’art.

  • J237 - Funambule

    -creer le 25 août 2011 - modifie le 15 septembre 2011

    25 août 2011 - J237

    J’ai nommé la troisième partie "La figure du funambule", pour signifier la position de l’artiste entre texte et oeuvre, entre pratique et théorie, à essayer de décrire et comprendre ce qui se passe dans l’écart, dans l’entre-deux, sur "l’arête étroite", et en reprenant cette image du funambule à Adorno lorsqu’il désigne l’oeuvre de Paul Valéry dont il dit qu’il présente le cas presque unique de celui qui "connaît l’oeuvre d’art par le métier, par le processus précis du travail".

    L’image de l’exploit récent d’un funambule suisse ayant battu un record du monde (sur un câble de téléphérique au dessus de 995 mètres) me fait quelque peu douter de la justesse de cette figure (tant l’appel du vide, la dimension sportive de danger et d’exploit sied peu à cette pratique théorique) ; pour autant, il me semble aussi être dans la position du funambule, à évoluer sur l’arête étroite entre textes et oeuvres, à tenter, par le processus de l’écriture, de tenir sur le fil, et d’atteindre le bout. Et, hors de l’exploit en montagne, le funambule est aussi (ou avant tout), une figure du monde du spectacle, dans une forme de théâtralisation de l’action.

  • J238 - Talking Heads

    -creer le 27 août 2011 - modifie le 27 août 2011

    26 août 2011 - J238

    Soir de Talking Heads, JLP, souvenir de Genève pour l’anniversaire de Clémence chez Giulia. Run run run away... C’est bon. Petit moment de suspens. "Psycho killer, qu’est-ce que c’est ?"

  • J243 - Dédoublement

    -creer le 31 août 2011 - modifie le 31 août 2011

    31 août 2011 – J243

    « Celui qui est témoin de sa propre recherche, c’est-à-dire de son désordre intérieur, ne peut guère se sentir l’héritier des hommes accomplis dont il voit les noms sur ces murs. » C’est avec ces mots que commençait la Leçon inaugurale de Merleau-Ponty au Collège de France en janvier 1953.

    Je pensais que cette résidence serait une sorte de discours de la méthode, dans lequel je m’appliquerai à décrire le procédé de l’écriture de la thèse en phase et en regard avec l’avancée de la recherche.

    Aujourd’hui, il est question des dédoublements et dislocations que produisent les relations entre texte et œuvre, prolongement et rebondissement entre une forme et une autre, aller-retour et face-à-face entre le texte et l’œuvre, la manière dont ils se répondent, dont l’un projette l’autre ou se projette dans l’autre.

    Je continue à naviguer d’un artiste à l’autre, ce qui suppose de changer de « monde », de langue, de formes plastiques et textuelles. La tentative de changer de méthode qui consisterait à rester chez l’un d’entre eux pour traiter les différentes questions à aborder, au lieu de passer de l’un à l’autre à chaque question n’a, pour l’instant, pas aboutie.

    Au fond, c’est bien à ce désordre intérieur que je suis confrontée, en étant, précisément, ainsi que le dit Merleau-Ponty, témoin de ma propre recherche.

  • J250 - L’incidence des interruptions

    -creer le 7 septembre 2011 - modifie le 7 septembre 2011

    Mercredi 7 septembre 2011 - J250

     

    À lire, parcourir, relire des textes, des ouvrages ou des comptes-rendus je suis soudain prise de vertige et je l’avoue, d’un certain ennui, à voir les mêmes noms, ou encore les mêmes thématiques, les mêmes questions formulées, reformulées, énoncées différemment : Foucault, Deleuze, Barthes, Derrida, Benjamin, Blanchot, Beckett, Borges, Robbe-Grillet, Rancière, Badiou..., la liste est encore longue de ces noms et de ces pensées que l’on retrouve dans tous les textes, et qui forment une constellation, celle-là même que présente Benjamin, à travers laquelle se forme des convergences et des divergences, des rencontres, des agencements et des multiplicités.
    Je recherche ces lignes de fuite et ces lignes de force dont Deleuze, justement, qualifie le dispositif et sur lequel je viens de finir une partie.

    Il me faut trouver le moyen de tirer des lignes qui me permettent de sortir de ce labyrinthe de noms, de notions, de concepts qui reviennent.

    La rapide rencontre avec Michelangelo Pistoletto l’autre soir à Londres, était de cet ordre, une sortie de route libératrice, à l’entendre, avec Hans Ulrich Obrist et une chanteuse Gianna Nannini évoquer ce qu’il nomme Il Terzo Paradiso, le Troisième Paradis, ce projet élaboré en 2003 d’une transformation responsable de la société à partir d’une pratique artistique, intellectuelle et sociale, à partir d’un symbole qui est une sorte de nouveau signe de l’infini que Pistoletto reprend depuis sous différentes formes - sculpturales, architecturales, paysagées ou dessinées, il me semblait qu’il avait trouvé là une manière de "sortir" des questions de temps, d’espace, de surface, de perception, de théâtralité... qui consituaient son travail jusqu’alors au profit d’une entrée dans le monde "réel". Cette réalité de la vie, cette confusion au sens positif de l’art et de la vie (au sens où l’entend Kaprow par exemple) m’a semblé enthousiasmante et légère. Et, alors que son exposition à la Serpentine Gallery mettait en scène son grand labyrinthe de carton ondulé, celui montré en 1969 en Hollande ou en 2001 à Lyon, ce que je considère comme une forme d’anachronisme constitutif dans le travail des artistes de mon corpus et qui se déclare comme une attention à ce que Foucault nomme "l’incidence des interruptions" s’est trouvé justifié.

    À présent, le temps presse. Presse. De plus en plus.

  • J258 - Si loin si proche

    -creer le 14 septembre 2011 - modifie le 18 septembre 2011

    15 septembre 2011 - J258

     

    Si loin, si proche, de la fin.

    Une double inquiétude alors : finir et ne pas finir (il faut noter l’accent mi-shakespearien, mi-beckettien !).

    Déjà les questions administratives se présentent, constitution du jury, dépôt de la thèse avant la soutenance... Tout cela qui sent et prépare la fin, alors même qu’il me semble être encore "dedans", prise dans l’urgence de finir, dans une accélaration du rythme et du temps de travail (si c’est encore possible).

    Et puis, aussi, cette inquiétude à quitter cette pente confortable qui me fait naviguer d’un espace labyrinthique à un autre, de miroirs à d’autres miroirs renvoyant d’autres images, de textes en textes et d’une langue à une autre (ce qui est aussi d’un monde à l’autre), avec cette impression qu’il y a encore tant de choses à dire, de zones à creuser, de détails à analyser, de questions à soulever. A-t-on jamais fini ?

  • J261 - Corrections

    -creer le 18 septembre 2011 - modifie le 18 septembre 2011

    18 septembre 2011 - J261

    Après une tentative de vive accélération, de montée en puissance et en inquiétude au moment de la rentrée, un affaiblissement du rythme se fait sentir.

    À présent, la reprise imminente des activités universitaires, des aller-retour en train, des cours, du temps fragmenté, de cette dispersion ; la fin de ce temps entièrement consacré à l’écriture et qui, maintenant qu’il disparaît, m’est soudain si précieux, si bon ; fin de ce temps intense, à l’intérieur même de l’écriture, presque confortablement installée dans l’écriture, ou du moins, confortablement installée dans l’inconfort de l’écriture, mais dedans. Maintenant, ce temps perdu et déjà regretté de l’entièreté va faire place aux incursions temporaires, aux rattrapages, aux collages, aux montages. Le texte est presque fini, la troisième partie quasi terminée. Mais dans ce presque, dans ce quasi, vont à présent se faire jour toutes les interrogations, les doutes, les imprécisions. La linéarité de l’écriture et l’entièreté m’avaient en quelque sorte et en grande partie (pas totalement) prémunie contre les "temps d’arrêt" et autres moments de suspens, mis à part ceux inhérents aux changements de zones, de parties. Là, il me semble que l’ouverture, au temps, à l’espace, au mouvement, va faire rentrer toutes sortes de scories. Défaire la totalité.

    Et pourtant, c’est aussi bien cela qui a été cherché tout au long de ces semaines, de ces mois, au fil de la lecture et de l’écriture, de débusquer ces discontinuités constitutives à l’oeuvre dans les oeuvres comme dans les textes des artistes qui brisent la linéarité de l’histoire telle que l’a pensée le modernisme, selon cette idée que les oeuvres s’enchaînent les unes dans les autres selon une sorte de progression. Pas de progression, mais des retours, des rebondissements et des transformations, des bifurcations, sur le fond d’une histoire que Didi-Huberman dit anachronique. Des interruptions.

    Foucault dit que l’histoire des sciences est discontinue, c’est-à-dire qu’il faut l’analyser comme une série de "corrections". Après avoir pris en compte l’incidence des interruptions, vient maintenant le temps des corrections.

  • J266 - Suspens (à rebours)

    -creer le 23 septembre 2011 - modifie le 13 octobre 2011

    23 septembre 2011 - J266

     

    Sur L’obligation d’écrire de Foucault :

     

    "Nerval a eu un rapport à la littérature qui, pour nous, est étrange et familier. Troublant mais proche de ce que nous apprennent les plus grands de nos contemporains (Bataille, Blanchot). Son oeuvre disait que la seule manière d’être au coeur de la littérature, c’est de se maintenir indéfiniment à sa limite et comme au bord extrême de son escarpement. Nerval, pour nous, ce n’est pas une oeuvre, ce n’est pas même un (effort) abandonné pour faire passer dans une oeuvre qu’elle dérobe une expérience qui lui serait obscure, étrangère ou rétive. C’est sous nos yeux, aujourd’hui, un certain rapport continu et déchiqueté au langage : d’entrée de jeu, il a été happée avant de lui-même par l’obligation vide d’écrire. Obligation qui ne prenait tour à tour la forme de romans, d’articles, de poèmes, de théâtre, que pour être aussitôt (ruinée) et recommencée. Les textes de Nerval ne nous ont pas laissé les fragments d’une oeuvre mais le constat répété qu’il faut écrire ; qu’on ne naît et qu’on ne meurt que d’eux. De là, cette possibilité et cette impossibilité jumelées d’écrire et d’être, de là cette appartenance de l’écriture et de la folie, que Nerval a fait surgir aux limites de la culture occidentale - à cette limite qui est au creux du coeur. "Comme une page imprimée, comme la dernière nuit de Nerval, nos jours sont maintenant noirs et blancs.""

  • J273 - Extension du domaine du visible

    -creer le 30 septembre 2011 - modifie le 28 octobre 2011

    30 septembre 2011 - J273

    Dernier chapitre : Voir enfin.

    Mais ici la vision se mêle de réflexion, de perception, s’ouvre sur les champs du possible. À quel visible s’adresse les artistes ? Que cherchent-ils à rendre visible, sinon ce qui est là même sous nos yeux, perceptibles par nos sens ?

    "Voir enfin" ditBuren et l’on ne sait s’il s’agit d’une injonction ou d’une forme de soulagement. Qu’est-ce qui permet de "voir enfin", est-ce que ce sont les oeuvres ou les textes ou les deux ensemble ?

  • J301 - le recours au texte

    -creer le 28 octobre 2011 - modifie le 28 octobre 2011

    28 octobre 2011 - J301. De retour, après tant de silence, un silence peuplé pourtant, de bruits et de trajets. La barre des trois cents est passée. Qu’en dire, sinon que le temps semble pris dans un double mouvement d’étirement et d’accélération assez paradoxal et troublant (on trouve ce rapport temporel dans les vidéos de Bill Viola qui a fait, un temps, partie des artistes de mon corpus, pour en disparaître à la faveur de Pistoletto) qui me fait doublement ressentir l’état de suspension dans lequel s’est trouvé le travail, mais aussi l’écriture, depuis quelques semaines ? C’est ainsi ajouté au retard (relatif à ma propre échelle, à présent) la reprise de ce que mon amie AMP nomme, jouant sur les mots "la vie duraille".


    Ce qui se pose, maintenant, c’est la question suivante : Le recours au texte est-il une nécessité ? Comment y répondre sinon de manière purement théorique en supposant, et c’est bien une supposition de principe, que l’existence même des textes des artistes modifient de fait l’expérience que l’on peut faire des oeuvres. Mais à quel niveau cette modification apparaît-elle ? Est-ce au sein même de l’oeuvre qui serait, en quelque sorte, marquée du sceau de l’écriture, ou bien, dans le regard du spectateur, qui, aurait une sorte de pré-science de l’existence des textes ? Cela fait beaucoup de supposition, évidemment. Tous ces artistes revendiquent une oeuvre qui se passerait du langage, et pourtant tous écrivent. À quoi répond, correspond cette contradiction, si, d’ailleurs, contradiction il y a ? Peut-on théoriser sur l’écart irréductible entre les textes et les oeuvres sans pouvoir penser que leur coexistence est paradoxale ? 

     

    Il me semble qu’il faut, simplement, partir des faits :

    oeuvres il y a, bien sûr

    mais, textes aussi.

    Peut-on, dès lors, sans manquer au principe même de toute forme de recherche, penser l’un sans l’autre ?

    Non ! voilà tout.

    Avant la suite.

  • J305 - jour du salsifis

    -creer le 1er novembre 2011 - modifie le 3 novembre 2011

    Mardi 1er novembre - J305 - il reste 60 jours avant la fin de l’année.

    305e jour de l’année. C’était aussi le 11e jour du mois de brumaire dans le calendrier républicain français, officiellement dénommé jour du salsifis.

     

    Pluie dehors - silence dedans.

     

    Il faudrait pouvoir changer la donne. Modifier le déjà écrit, transformer les phrases, les caractères, la typographie, la mise en page.

    Il faudrait pouvoir opérer la transformation des choses en texte et des textes en choses.

    Que sais-je de tout cela ?

    J’approche de la fin. Bien qu’elle tarde à s’effectuer.

  • J307 - question d’adresse

    -creer le 3 novembre 2011 - modifie le 3 novembre 2011

    Jeudi 3 novembre - J307

    Se pose la question de l’adresse - à qui ça s’adresse.

    ça ?

    les textes des artistes, mais aussi, ici, ces lignes perdues dans un espace indéterminé et qui sont comme envoyées dans le vide. Quelques réponses, parfois (merci Ph. D.) mais sinon, béquille, soutien, poubelle - au sens où s’y rejette ce que je ne mets pas dans le texte.

    Le texte !

    Revenons aux textes des artistes. À qui s’adressent-ils ? À la critique, d’abord, à la critique et aux critiques. Aux critiques d’art et à toute forme de critique. Reprendre la main sur le discours, s’armer. Argument d’autorité contre une forme d’assujettissement. Justification, preuve, outil de réflexion dans lequel l’élaboration de l’oeuvre se reflète, se met en place, se déroule. 

    De quoi je parle, là ?

    Des textes des artistes.


  • J313 - "Nietzschéens laborieux comme des faiseurs de thèse..."

    -creer le 9 novembre 2011 - modifie le 9 novembre 2011

    Mercredi 9 novembre - J313

    Lyotard dans Discours Figure :

     

    "Nietzschéens laborieux comme des faiseurs de thèses..."

    Ceux qui ne font que continuer la philosophie comme activité séparée.


    Transformer le discours qui dit le vrai pour déconstruire son ordre, faire apparaître une vérité en dehors du discours en signification achevée. Pas de théorie unitaire mais une parole où s’inscrit des fragments.


  • J317 - lignes de force

    -creer le 13 novembre 2011 - modifie le 13 novembre 2011

    dimanche 13 novembre - J317

    J’entame les lignes de force, ces lignes qui constituent le dispositif, ces lignes qui "suivent des directions, tracent des processus toujours en déséquilibre. Chaque ligne est brisée, soulise à des variations de direction, bifurcante et fourchue, soumise à des dérivations."

    Je trouve, re-trouve, dans ces mots de Deleuze sur la notion de dispositif chez Foucault, ce qui est au coeur même de cette recherche sur les textes/oeuvres d’artistes comme dispositif. 

    Ces lignes de force qui sont ma dernière ligne (droite) avant de conclure, seront ces notions présentes dans les textes comme dans les oeuvres, par exemple et entre autres, le degré zéro ou la répétition chez Buren, l’entropie et la gestalt chez Morris, le miroir et le dédoublement chez Pistoletto.

    Ces lignes de force qui constituent une oeuvre, en dessinent le territoire, le cartographient.

  • J330 - patrie du nuage et de l’indécis

    -creer le 22 novembre 2011 - modifie le 26 novembre 2011

    samedi 26 novembre - J330 

     

    Avant d’entamer le temps des conclusions, ce texte, cadeau de mon ami Philippe D. qui travaille sur Scarpa et dont l’attention m’accompagne depuis des mois, un texte d’Henri Michaux, qui provient du catalogue de l’exposition Vitalità nell’arte, Centro internazionale delle arti e del costume, Palazzo Grassi, août 1959, Venise. Et parce qu’il y est question non pas de donner à voir comme je cherche à le montrer à travers les textes des artistes, mais , plutôt, de donner à respirer.

     


    PARENTHÈSE

     

    Depuis des années j’allais et venais dans la vie, me traduisant en humeurs, en voyages, en émerveillements, en gestes, en indignations, en écrits aussi.

     

    Quelque chose toutefois n’y entrait pas, ne se calmait pas, qui était simple, Invisible et tout proche, intime et perpétuel.

     

    S’il faut absolument le nommer, eh bien c’étaient comme de petites explosions (pas toujours si petites, mais bien en moi) comme ça, sans explications et qui demandaient seulement que je les accompagne.

     

    Pas comme les mots. Les mots font toujours dire trop. Ça mène loin, les mots. Tout de suite aux complications. Bientôt aux imaginations, pour être excitant, pour demeurer dans l’excitant abstrait, qui reste en soi, qui n’a pas de nom et dont on ne sait rien. Ils vous font mythomane, pratiquent des fouilles, ont besoin d’investissements, besoin d’ennemis, de récits, suppléments que tout ça, suppléments, formes erronées (et l’agressivité elle-même peut-être supplément) avec quoi on se dupe.

     

    Lorsque je commençai à peindre, ma patrie me revint, ma patrie du nuage et de l’indécis, mais pas toute seule, car y apparaissaient de larvaires visages, des fantômes de corps ou de nature, mais vagues toujours et prêts à rentrer en nuage.

     

    Puis les rythmes vinrent à moi, dont j’avais nostalgie, et dans ces rythmes je logeais précipitamment des traces brèves, des traces électriques, des traces violentes d’êtres dont je n’avais pas à rendre compte et dont, plein depuis l’enfance, je devais, je suppose, savoir obscurément qu’un jour nous nous retrouverions dans le plein air d’une surface extérieure.

     

    Il y avait là pour moi une façon nouvelle de vivre en milieu explosif, dans la vitalité même de la vie, dans uniquement ses signes de vitalité.

     

    En ces années aussi, par un cheminement à elle, par ses dégoûts à elle, la peinture se désencombrait décidément des formes, configurations et délimitations où elle était passée maître (...quand elle n’y était pas greffier).

     

    Cet art laborieux qui pendant tant de siècles avait fabriqué si souvent avec du préfabriqué et des recettes, venait de virer singulièrement. Le plus emporté à présent, le plus débraillé, le plus de prime saut, le plus improvisateur, celui qui le plus ressentait la passion du dévergondage de la liberté. Le peintre était devenu tout autre. A la façon du poète qui, avant tout, laisse se défaire le savoir-dire, et veut que disparaissent les colonnes et les fondations de la réalité pour la faire ensuite tenir à sa façon, aériennement, elle, ou un rien qui n’avait encore paru dans ce monde, mais qui à lui tellement importe, le peintre actuel dans son bouillonnement intérieur, défait d’abord, (pas de métamorphose sans autophagie), rature, massacre nature et modèle de nature, pour suivre, débarrassé de contrainte, une tempête, qui n’est pas du dehors et dont, sans l’arrêter, il exprimera le trouble ou les signes, espérant que même aux yeux des autres cela aura vie, qui a passé par un torrent si animé, quoique cela n’ait de liaison peut-être apparemment avec « rien » sauf avec l’envie du rien du « plus rien  » et sa fascination.

     

    Ses matériaux sont encore de la peinture à la limite. Mais son élan est d’ailleurs. Ainsi les arts, par un besoin nouveau (de croissance et de libération et de dégoût) font, à de certaines époques, échange entre eux, de tempérament, de température et même de ce qui paraissait si propre à l’un qui passe à l’autre, dont mystérieusement mais pas tout à fait inexplicablement c’est le tour. C’est à celui-ci que revient de revoir le ciel dégagé. C’est par celui-ci que reprend la bataille. Donc, le vieux, le savant, le patient, l’entendu depuis un demi millénaire, redevient fils. A la surprise et à l’irritation presque générale, fils contre les pères. Fils et voyou.

     

    Un air en ce qu’il font, (quand « ça » y est) qu’on n’avait jamais encore respiré devant des tableaux. Donner à voir. Non plus. Non plus tellement. Plutôt donner à respirer.

          

  • J350 - le temps de conclure

    -creer le 16 décembre 2011 - modifie le 16 décembre 2011

    16 décembre - J350

    Il est temps de conclure. Mes trois parties sont terminées, finies, parties. Trois blocs de texte en attente de relecture. L’annexe contenant les illustrations est faite.

    Il faut conclure et déjà, je sors, avec cette sensation de reprendre vie tout en perdant quelque chose d’essentiel qui s’était déjà dilué dans les dernières semaines, entre les cours, les textes, la revue qui revient.

    Je quitte un certain voisinage, celui des mots et des images, pour les bruits et les lumières de la ville, pour certains flux, pour une certaine mobilité spatiale, d’autres figures du déplacement.

    Ces déplacements, je cherche encore à les concentrer, à les condenser en une forme de savoir que constitueraient ces textes d’artistes en regard des oeuvres qu’ils ne commentent ni n’illustrent mais qu’ils contribuent à faire comprendre, à appréhender.

    Je relis pour introduire et pour conclure. Je retrace le parcours.

    Il me semble, et ce sera en partie l’objet de la conclusion, que l’intérêt de l’étude de ces textes d’artistes est de contribuer à l’élaboration de ce que les réflexions actuelles nomment la "recherche en art". Une recherche qui s’élabore dans le cours de l’écriture, dans le fil du texte, au même titre, d’une certaine manière et c’est ce que je souhaite avoir montré que c’est dans le fil de cette écriture annexée que s’estconstruit la recherche et la réflexion sur ces "dispositifs".


  • J365+11 - zones blanches

    -creer le 11 janvier 2012 - modifie le 11 janvier 2012

    11 janvier 2012 - J376

     

    « J’étais dans les zones blanches comme avant le surgissement d’un texte, dans un grand vide où rien ne se fixe, où les expressions les plus contradictoires passent et repassent sans interférence et, au lieu de chercher à m’en extraire, je me complaisais dans cette languide plénitude infra-langagière, retardant le maximum le moment où un concept, une intuition finirait par polariser la langue. »

    Philippe Vasset, Un livre blanc


    La nouvelle année est entamée. Année de soutenance. Le temps de l’écriture a pris fin, du moins pour le moment pendant lequel je laisse reposer ces 515 pages. Repos, attente, suspens. Avant de reprendre et de finaliser. Mais c’est un repos joyeux, qui ne me laisse pas en reste d’une multitude de tâches laissées, elles, en suspens. La vie reprend. J’ai fini sur les zones blanches, celles dont Philippe Vasset que je cite en exergue de ma conclusion dit qu’elles précèdent le surgissement d’un texte, celles qui permettent de délimiter cette zone intermédiaire et ambiguë entre le voir et le dire, entre le théorique et le pratique. Cet "espace blanc" qui désigne l’ensemble de ce travail, comme s’il était possible de se tenir quelque part juste sur cette bordure, "bordure de temps" avant que se constitue et se fige la langue en une forme définitive. Prendre garde aux discontinuités, les rendre constitutives de cette pensée en mouvement et en déplacement.

    Si l’on veut maintenir ouvert le rapport du visible et du dicible, il faut définir un emplacement singulier, essayer de définir, comme le suggère Foucault dans l’introduction à L’archéologie du savoir, cet "espace blanc d’où je parle", qui prend forme dans un discours encore précaire et incertain. L’incertitude et la précarité du discours qui est celui que j’ai tenté de suivre et de tenir ici et dans mes pages, tient à l’objet ambigu de ma recherche et l’emplacement ou la situation théorique dans laquelle il oblige à se tenir, "dans un grand vide où rien ne se fixe". Ce vide, j’ai cherché à le remplir par l’étude simultanée des textes et des oeuvres des artistes, des textes puis des oeuvres, des textes en regard des oeuvres. Complexité de la position que les textes et les oeuvres en regard induisent, position précaire, déséquilibrée sans doute mais qui s’impose par la coexistence des uns et des autres dans la conception, l’élaboration, la production et le processus de création des oeuvres des artistes. Chercher à définir un emplacement singulier est, d’une certaine manière, une tentative de trouver une solution à l’inconfort d’une situation théorique, à son ambiguïté. Pourtant, il m’a semblé et il me semble aussi que cet inconfort et cette ambiguïté sont également nécessaires dans l’appréhension et la compréhension des oeuvres, de ces oeuvres. Il s’agit d’une ambiguïté au sens philosophique, celle que l’on trouve chez Merleau-Ponty, lorsqu’il pornonce sa leçon inaugurale au Collège de France, en examinant la fonction du philosophe : "Le philosophe se reconnaît à ce qu’il a inséparablement le goût de l’évidence et le sens de l’ambiguïté. Quand il se borne à subir l’ambiguïté, elle s’appelle équivoque. Chez les plus grands elle devient thème, elle contribue à fonder les certitudes au lieu de les menacer."