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Accueil du site // // Sally Bonn // J330 - patrie du nuage et de l’indécis

samedi 26 novembre - J330 

 

Avant d’entamer le temps des conclusions, ce texte, cadeau de mon ami Philippe D. qui travaille sur Scarpa et dont l’attention m’accompagne depuis des mois, un texte d’Henri Michaux, qui provient du catalogue de l’exposition Vitalità nell’arte, Centro internazionale delle arti e del costume, Palazzo Grassi, août 1959, Venise. Et parce qu’il y est question non pas de donner à voir comme je cherche à le montrer à travers les textes des artistes, mais , plutôt, de donner à respirer.

 


PARENTHÈSE

 

Depuis des années j’allais et venais dans la vie, me traduisant en humeurs, en voyages, en émerveillements, en gestes, en indignations, en écrits aussi.

 

Quelque chose toutefois n’y entrait pas, ne se calmait pas, qui était simple, Invisible et tout proche, intime et perpétuel.

 

S’il faut absolument le nommer, eh bien c’étaient comme de petites explosions (pas toujours si petites, mais bien en moi) comme ça, sans explications et qui demandaient seulement que je les accompagne.

 

Pas comme les mots. Les mots font toujours dire trop. Ça mène loin, les mots. Tout de suite aux complications. Bientôt aux imaginations, pour être excitant, pour demeurer dans l’excitant abstrait, qui reste en soi, qui n’a pas de nom et dont on ne sait rien. Ils vous font mythomane, pratiquent des fouilles, ont besoin d’investissements, besoin d’ennemis, de récits, suppléments que tout ça, suppléments, formes erronées (et l’agressivité elle-même peut-être supplément) avec quoi on se dupe.

 

Lorsque je commençai à peindre, ma patrie me revint, ma patrie du nuage et de l’indécis, mais pas toute seule, car y apparaissaient de larvaires visages, des fantômes de corps ou de nature, mais vagues toujours et prêts à rentrer en nuage.

 

Puis les rythmes vinrent à moi, dont j’avais nostalgie, et dans ces rythmes je logeais précipitamment des traces brèves, des traces électriques, des traces violentes d’êtres dont je n’avais pas à rendre compte et dont, plein depuis l’enfance, je devais, je suppose, savoir obscurément qu’un jour nous nous retrouverions dans le plein air d’une surface extérieure.

 

Il y avait là pour moi une façon nouvelle de vivre en milieu explosif, dans la vitalité même de la vie, dans uniquement ses signes de vitalité.

 

En ces années aussi, par un cheminement à elle, par ses dégoûts à elle, la peinture se désencombrait décidément des formes, configurations et délimitations où elle était passée maître (...quand elle n’y était pas greffier).

 

Cet art laborieux qui pendant tant de siècles avait fabriqué si souvent avec du préfabriqué et des recettes, venait de virer singulièrement. Le plus emporté à présent, le plus débraillé, le plus de prime saut, le plus improvisateur, celui qui le plus ressentait la passion du dévergondage de la liberté. Le peintre était devenu tout autre. A la façon du poète qui, avant tout, laisse se défaire le savoir-dire, et veut que disparaissent les colonnes et les fondations de la réalité pour la faire ensuite tenir à sa façon, aériennement, elle, ou un rien qui n’avait encore paru dans ce monde, mais qui à lui tellement importe, le peintre actuel dans son bouillonnement intérieur, défait d’abord, (pas de métamorphose sans autophagie), rature, massacre nature et modèle de nature, pour suivre, débarrassé de contrainte, une tempête, qui n’est pas du dehors et dont, sans l’arrêter, il exprimera le trouble ou les signes, espérant que même aux yeux des autres cela aura vie, qui a passé par un torrent si animé, quoique cela n’ait de liaison peut-être apparemment avec « rien » sauf avec l’envie du rien du « plus rien  » et sa fascination.

 

Ses matériaux sont encore de la peinture à la limite. Mais son élan est d’ailleurs. Ainsi les arts, par un besoin nouveau (de croissance et de libération et de dégoût) font, à de certaines époques, échange entre eux, de tempérament, de température et même de ce qui paraissait si propre à l’un qui passe à l’autre, dont mystérieusement mais pas tout à fait inexplicablement c’est le tour. C’est à celui-ci que revient de revoir le ciel dégagé. C’est par celui-ci que reprend la bataille. Donc, le vieux, le savant, le patient, l’entendu depuis un demi millénaire, redevient fils. A la surprise et à l’irritation presque générale, fils contre les pères. Fils et voyou.

 

Un air en ce qu’il font, (quand « ça » y est) qu’on n’avait jamais encore respiré devant des tableaux. Donner à voir. Non plus. Non plus tellement. Plutôt donner à respirer.